Sinkcity

Marchant dans l'ombre des rues désertes de Sinkcity, la capuche recouvrant son visage, les pas de Koumon étaient les seuls à raisonner entre les trottoirs. Il faisait très sombre. La seule source de lumière était la Lune. Il s'arrêta devant une porte des plus discrètes de la rue, la passa rapidement après avoir jeté un bref coup d'œil sur les côtés, et se trouva alors dans un sinistre endroit sale et malfamé où sûrement personne ne devrait mettre habituellement les pieds, vu l'état des lieux. Il s'avança, le haut de son capuchon cachant son regard, et s'arrêta net devant une grande porte de garage marquée de trous et de fissures et à la vitre brisée dont il venait d'écraser les débris, comme s'il attendait que quelque chose se passe. Ce fut alors que la tête levée, son regard se porta droit vers les fissures marquant les vitres du garage. Il s'était visiblement passé quelque chose, ici. Une chose atroce qui avait dû se dérouler derrière son dos – après qu'il ait quitté cet endroit pour la dernière fois – il y a dix ans. Une voix surgit alors de nulle part.

– Alors tu es revenu...

A quelques mètres derrière Koumon, un mystérieux homme sortit de l'ombre. Un vieillard gros et trapu au visage indistinguable à cause de la fumée qui s'échappait du cigare qu'il tenait entre ses lèvres. Koumon tourna la tête de côtés, semblant indifférent devant l'arrivée inattendue du vieil homme au grand manteau noir qui le couvrait du froid qui était entrain de faire frissonner Koumon. Koumon se tournai totalement et se rapprocha du vieil homme mystère.

– Je savais que je te retrouverais ici, répondit Koumon qui se frottait les bras pour se réchauffer.

Une légère fumée envahissait l'endroit tandis que le vent glacial faisait grelotter les deux hommes. Souhaitant rompre le silence qui l'impatientait et qui le rapprochait de l'agonie provoquée par la bise, il se décida à poursuivre la conversation.

– Tu n'as nulle part où aller, c'est ça ? Au final, tu te sentais plus à l'abri derrière les barreaux, je me trompe ? Lança le vieil homme qui affichait un sourire malicieux sur son visage. As-tu conscience des risques que tu prends en revenant ici ? Surtout après tout ce temps... Fit le vieil homme, l'air sérieux.

– June, je peux entrer ? Demanda Koumon qui n'attendait que le moment où il échapperait à la bise qui le tuait peu à peu, impatient que le vieil homme lui réponde.

– Mais Koumon, je ne peux pas te laisser passer, et tu le sais. Regretta June, éteignant son cigare.

– Laisse-moi passer à mes risques et périls, j'en payerai les conséquences, supplia-t-il, hésitant à se mettre à genoux.

– Si tu restes dehors, tu mourras de froid. C'est par pitié que je te suggères de me suivre. Conclut le vieil homme.

Le vieil homme du nom de June se retourna, rangeant son cigare dans la poche de son manteau, et passai la porte derrière lui. Koumon fit de même et se mit à le suivre. Un couloir interminable s'offrait à eux. On pouvait voir sur les murs peu éclairés d'innombrables fissures ainsi que des sortes de petits trous, visiblement provoqués par des balles de pistolet. Le plafond laissait place à des tuyaux qui s'occupaient des canalisations et qui faisaient s'échapper une odeur répugnante. Koumon avait faim, froid et était terriblement fatigué.

– Que s'est-il passé durant mon absence ? Les fissures... Les casses... Les marques de balles... Interrogea Koumon, ne pouvant retenir sa curiosité une minute de plus.

– Peu après ton embarquement, les troupes du DOC nous ont rendu visite. Ça s'est joué de peu, mais on a dû déserter. Après quoi, ils ont fermé l'endroit en supposant que plus aucune menace n'y reposait. Nous y sommes revenus et nous nous y sommes réinstallés, expliqua-t-il en marchant machinalement le long du couloir dont on ne voyait toujours pas le fond.
Il se mit alors à ricaner bêtement en ralentissant un peu et repris la discussion avec Koumon en arrachant son air sérieux.

– Et ton petit séjour en prison, alors ? Tu t'es fait de nouveaux amis ? Haha ! Ricana-t-il bêtement en affichant un sourire et une bonne humeur pour la première fois de la discussion.

– Ces dix longues années en prison ont de toute évidence été plus agréables que les six mois où j'ai bossé pour vous, répondit-il en continuant de suivre June, au moins, là-bas, je n'étais pas obligé de tuer pour ne pas être tué, si tu vois ce que je veux dire, poursuivit-il.

– Koumon, concrètement, pourquoi es-tu revenu ? Pour trouver un toit ? Pour te venger sur le patron ? Allez, tu sais bien que tu peux tout me dire, je suis de très bonne confidence ! Dit-il.

– Si je suis revenu, c'est bien pour reprendre du service, Répondit-il. C'est mon seul moyen pour avoir un toit sous lequel vivre, et tu en es conscient tout autant que moi. Il est impossible de faire le lèche-bottes au patron sans ne rien faire en retour. On ne gagnerait à ça qu'une balle dans la tête, expliqua-t-il en ralentissant, remarquant qu'une crampe à la cuisse se manifestait. Quand arriverons-nous ? Pourquoi ce couloir est-il aussi long ? Il me semble que quand je bossais ici, il s'était pas aussi horrible à traverser. Je me trompe ? Demanda-t-il, curieux.

– Si l'on te colle une balle dans la tête à ton arrivée dans le hall, la longueur de se couloir empêchera le son de raisonner à l'extérieur, étant donné que la seule sortie se trouve à quelques centaines de mètres derrière toi. De plus, si les agents du DOC revenaient nous voir, il suffirait de planquer deux trois snipers à l'entrée du hall, pour tirer à travers le couloir et abattre nos cibles. Utile, c'est pourquoi nous avions décidé d'appliquer l'idée de rallonger ce couloir, expliqua June.

– Et personne ne vient jamais vous voir en dehors de l'organisation ? Interrogea Kumon, remarquant que le fond du couloir se manifestait enfin au loin.

– Pourquoi quelqu'un entrerait dans un endroit sale et perdu sans raison à l'exception des troupes du DOC ? Tu as ta réponse.

– Quant au DOC, cela fait dix ans que je n'en ai pas entendu parler. A où en sont-ils ? Demanda Kumon, toujours aussi curieux, remarquant tout juste en regardant derrière lui que tout le couloir qu'il avait traversé aux côtés de June était rigide.

– Oh, tu sais, beaucoup de choses ont changé pendant ton absence. Mais nous avons été tous aussi enfermés que toi, là-dedans. Nous ne sortons jamais sauf quant il s'agit d'accomplir nos missions, évidemment. Mais ça, tu le sais. Nous ne sommes donc pas très bien renseignés sur l'évolution du DOC durant ton absence. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'ils sont devenus tellement nombreux et puissants qu'aujourd'hui, même le président a intérêt de bien s'en occuper.

– Donc le président est en quelques sortes en partenariat avec le DOC ? Poursuivit Kumon, étonné.

Les deux hommes arrivèrent devant une porte qui marquait la fin du long couloir. Une porte rouge très bien protégée dotée d'une seule et unique serrure qui était à l'œil nu le seul moyen de passer cette porte parfaitement verrouillée. June fouilla ses poches et en sortit une petite clé, si minuscule qu'elle rentrait tout juste dans la serrure de la grande porte rouge. La tenant entre son pouce et son index, il la fit rentrer dans la serrure.

– Tu es prêt ? Demanda June, à deux doigts d'ouvrir la porte.

Kumon se contenta de hocher la tête, devenant de plus en plus stressé, restant derrière June qui fit tourner la clé à l'intérieur de la serrure. Il ressortit la clé, la rangea dans sa poche, et poussa enfin la porte. Le hall était là, devant eux. Une très grande salle dotée de larges escaliers sur les côtés. Les lieux étaient très bien bâtis, à croire qu'on ne se trouvait pas à l'approche des égouts, mais dans le hall d'un château. C'était après tout l'impression que l'accueil donnait. Un grand tapis de toutes les couleurs recouvrait le sol humide de la salle. Au fond, un grand fauteuil si beau que l'on pourrait le confondre avec un trône. Un homme y était installé. Il avait de brillants cheveux noirs très bien coiffés, une belle moustache qui soutenait son air sérieux, et il portait un beau costume gris foncé ressemblant à une robe de prêtre. A sa gauche et à sa droite étaient alignés de nombreux individus très différents les uns des autres mais tous lançaient des regards noirs au revenant, Koumon. June et ce derniers se remirent à la marche, cette fois bien lente, à travers toute la salle, vers le trône.

Alors, qui me ramènes-tu, June ? Lança l'homme assis à son fauteuil, l'air ravi de voir une nouvelle tête.

– Ne vous souvenez-vous pas de votre ancien prodige, maître ? Répondit June, marchant aux côtés de Koumon.

Le soi-disant maître se levai, et, lentement, fit quelques pas vers les deux hommes qui venaient d'arriver.

– Nous sommes-nous déjà vus ? Quel est l'objet de sa visite ?

– Je viens pour...

– La ferme. Interrompit-il. Je ne parle qu'aux membres de l'organisation, pas aux inférieurs ! S'écria le « maître », haussant le ton et lançant un regard noir à Koumon.

– Euh... Eh bien... Monsieur travaillait pour nous il y a de cela une dizaine d'années et...

– Oh, Koumon ! Comment pourrais-je oublier notre prodige de la bonne époque, hein ? Fit-il, le sourire au visage, la main sur l'épaule de Koumon, l'amenant vers le trône. Alors, pourquoi viens-tu nous rendre visite ? Laisse-moi t'accueillir comme il se doit ! Daniel, un verre de whisky, et que ça saute ! Cria-t-il à l'un des grands hommes baraqués sur les côtés du grand fauteuil.

– Mon nom est Damien, dessus... Fit-il, l'air ennuyé.

– En fait, vu les nombreux services que je vous ai rendu en travaillant pour vous autrefois, je pensais que vous pourriez me trouvez un toit temporaire jusqu'à ce que je trouve un appartement en ville... Un endroit stable... Qu'en dites-vous ? Proposa Koumon, voyant que le « maître » avait l'air généreux.

– Oh, mais assieds-toi, assieds-toi ! Lança ce dernier en asseyant Koumon sur le grand fauteuil.

– Voici le whisky, maître... Fit Damien, le verra à la main.

Le vieil homme au costume gris, que tout le monde appelait « le maître », prit le verre que tenait l'un de ses hommes et le donna à Koumon, qui était confortablement installé sur le fauteuil. Koumon en but une gorgée, sans dire un mot. Le maître demanda d'un signe de la main à l'un de ses hommes de s'approcher, et lorsqu'il fut à proximité, le maître lui arracha le poignard qui était rangé dans l'une de ses sacoches. Le tenant fermement, il le planta dans la cuisse de Koumon qui était entrain de boire son whisky. Il lâcha brusquement son verre et cracha le liquide qu'il avait dans la bouche devant lui, sur le maître entre autres. La main droite tenant le poignard qui était planté dans la cuisse de Koumon, il lui donna une gauche, ce qui lui fit tomber de son fauteuil.

– Aaaaargh ! Fit Koumon, parterre, souffrant du poignard planté dans sa cuisse, faisant couler du sang sur le tapis, et se remettant également du coup qu'il venait de recevoir au visage et qui lui faisait saigner de la lèvre.

– Alors tu crois qu'après nous avoir fait débarquer le DOC à la planque, et avoir disparu pendant dix ans, tu peux revenir tranquillement en me faisant du chantage ? Ce n'est pas comme ça que ça marche, ici, Koumon... Si tu veux un toit, dit-il calmement, tu dois reprendre du service. Sinon, qu'est-ce qu'on fait, soit on décide de te tuer et de jeter ton cadavre inutile dans les égouts avec tous les autres inférieurs, soit on t'emprisonne dans les égouts et tu auras le droit à des séances de torture quotidienne. Qu'en dis-tu ?

– Euh... Sergei, tu ne crois pas que tu y vas un peu fort, là ? Fit June en s'avançant vers Koumon qui tentait de retirer le poignard de sa cuisse, souffrant et très mal au point.

– Dégage, June ! S'écria le maître – qui s'appelait apparemment Sergeil – tandis que deux hommes autour du trône visaient le vieil homme trapu au pistolet.

– Aaaaargh... Fit Koumon, étant parvenu à retirer le poignard.

– Ah, au fait, poursuivit Sergei, je sais que tes capacités d'ex-agent secret te permettraient de me décapités en moins de deux en un seul lancer de poignard, mais je sais aussi que tu tiens à ta vie, et que tu n'aimerais pas recevoir deux balles dans ta deuxième cuisse et te faire emprisonner et torturer à vie. Ou sinon, mourir d'une hémorragie, ce qui serait... dommage. Quoi qu'il en soit, tu commences demain. Daniel va t'emmener dans ta nouvelle chambre. Fais de beaux rêves. Conclut Sergei, le sourire au visage, tandis que Damien et le propriétaire du poignard en sang aidaient Koumon à se relever pour le déplacer.

– Mon nom est Damien, maître ! Pas Daniel ! Répliqua l'esclave.

La chambre de Koumon était petite. Les murs étaient en bois et la pièce était éclairée par une petite ampoule suspendue au plafond. Il y avait un bureau, une chaise, un placard et un lit, sans oublier un miroir à côté de l'entrée de la chambre. Damien et l'homme au poignard avaient posé le blessé sur son lit. Lorsqu'ils s'en allèrent et donc que Koumon était seul, il retira son pull et s'en servi de pansement pour sa blessure qui ne cessait de faire couler du sang. Et se couvrit, se recouchai sur son lit, et tenta de s'endormir en niant la douleur et la peur d'être tué durant son sommeil.